Un café avec Pierre Boulanger, ancien délégué du Québec à Londres

Publié le 14 septembre 2015

Pierre Boulanger a débuté sa carrière diplomatique au sein de l’administration canadienne. Un diplôme de l’Université Laval en poche, il passe, à l’été 1973, l’examen des services extérieurs canadiens. Pendant plusieurs années, il sera au service de la diplomatie du Canada où quatre affectations à l’étranger marquent son parcours. Il a travaillé au Mexique pendant 2 ans en tant que vice-consul (1974-1976), puis à Boston durant 3 ans à titre de consul chargé du reportage politique (1979-1982). Sa carrière le mènera également à deux reprises à Paris, entre 1982 et 1985 – où il fut premier secrétaire et délégué commercial, chargé de la coopération industrielle – et entre1992 et 1993 au poste de conseiller aux investissements à l’ambassade du Canada. À la suite de sa deuxième expérience parisienne, il décide de quitter le service diplomatique canadien pour avoir plus d’action, reconnaissant volontiers qu’à son goût, « ça ne bougeait pas assez vite ». Il passe donc plusieurs années de sa vie dans le secteur privé pour ensuite se présenter pour le Parti libéral à aux élections québécoises de 1998. Sa défaite lui aura quand même été bénéfique puisque, suite à son investissement dans le Parti libéral, il sera nommé « président de la commission de la capitale nationale du Québec de 2003 à 2005 » quand les libéraux sont arrivés au pouvoir. C’est en 2008 que le premier ministre de l’époque, Jean Charest, lui propose de partir servir le Québec à l’étranger en tant que délégué du Québec à Londres. En poste du 3 mars 2008 au 21 décembre 2012, Monsieur Boulanger a passé son mandat à faire en sorte que « le Québec ait la place qu’il mérite à Londres ». Retour avec lui sur son expérience londonienne.

À Londres, comme ailleurs dans le monde, le Québec fait chambre à part

Faisons tout d’abord un rapide tour d’horizon de la présence du Québec à Londres. Ouverte en 1962, la délégation du Québec à Londres est l’une des plus importantes représentations diplomatiques du Québec dans le monde. À l’instar de bien d’autres représentations diplomatiques québécoises à l’étranger, la délégation de Londres a ses propres locaux. C’est important de le préciser puisque « ce n’est pas le cas d’autres provinces canadiennes représentées au Royaume-Uni. Tous leurs représentants sont logés au Haut-commissariat du Canada à Londres ». Le Québec fait chambre à part. La délégation est structurée de la même manière que ses consœurs à travers le monde: une section économique, culturelle, éducative… mais aussi un bureau d’Investissement Québec sur place, « Londres et sa City, plaque tournante de la finance mondiale, oblige ». En plus du Royaume-Uni, la délégation a également comme territoires d’intervention l’Irlande, l’Islande, la Finlande, la Suède, la Norvège et le Danemark. Si la structure de la délégation n’a rien d’original, M. Boulanger nous précise que « le ministère de la culture a une équipe importante à Londres. Cette présence culturelle est très peu connue, parce qu’il n’y a aucune couverture médiatique de la part des journalistes québécois. C’est dommage. On a réalisé tellement de choses dans ce sens durant mon mandat ».

La culture québécoise à Londres, une présence ancienne et bien ancrée

L’activité culturelle québécoise est certainement l’élément qui a le plus frappé M. Boulanger à son arrivée à Londres. Beaucoup d’artistes québécois y passent pour y faire des prestations. Signe que Londres est une place culturelle majeure, le Cirque du Soleil y a déménagé ses bureaux européens, qui pendant longtemps étaient à Amsterdam. Londres est de plus en plus une plaque tournante sur la scène culturelle, non seulement pour les anglophones mais aussi pour les francophones. Dans cette lignée, l’ancien délégué nous précise que de nombreux producteurs et distributeurs français viennent désormais à Londres. Denis Villeneuve a notamment lancé certains de ses films depuis la capitale anglaise. La proximité de certains pans des cultures québécoise et anglo-saxonne a facilité des initiatives pour faire connaître la culture québécoise. « Les musiques traditionnelles en Irlande et en Écosse sont, sur certains aspects, proches de nous ». Chaque année, un festival de musique traditionnelle a lieu en Écosse. En 2010, le Québec a été l’invité d’honneur. « Il y avait 9 groupes québécois dont «La Bottine Souriante». Franchement, on peut dire qu’on a presque volé la vedette à de nombreux groupes écossais », glisse M. Boulanger.

Durant son mandat, Pierre Boulanger a tenu à utiliser la Francophonie comme vecteur de propagation de ce que tout le Québec a à offrir, une stratégie classique pour la province canadienne. Dans cette perspective, l’année 2012 occupe une place particulière. En effet, dans le cadre de la journée de la Francophonie, le 20 mars de cette année-là, la délégation a organisé une semaine du cinéma québécois et des artistes de la province sont même venus performer sur Trafalgar Square. « Ça a très bien marché, si tant est que Michaëlle Jean était venue nous voir à l’époque », se rappelle l’ancien délégué en ajoutant avec malice « qu’il y avait une sorte de mafia francophone à Londres ».

Pour continuer sur le plan linguistique, Monsieur Boulanger nous apprend une collaboration particulière avec le Pays de Galles, qui s’intéresse aux mesures que le Québec a prises pour préserver la langue française. En effet, nous apprend Pierre Boulanger, les Gallois ont le défi de préserver leur langue d’origine, exclusivement parlée par eux. Il y a à peine 5% de la population qui la comprend, c’est une langue en voie de disparition. En s’inspirant de l’Office québécois de la langue française, ils ont mis en place un office de la langue galloise. S’il n’y a pas eu d’entente formelle, il y a quand même eu beaucoup de discussions, qui ont abouti à un voyage au Québec de Gallois pour voir les outils mis en place pour préserver la langue française.

2012, l’année du Québec à Londres

L’année 2012 fut le temps fort du mandat de Pierre Boulanger. Pour Londres, cette année était synonyme du soixantième anniversaire du couronnement de la reine et des Jeux Olympiques d’été. Pour le Québec, il s’agissait de célébrer par une multitude d’évènements le cinquantième anniversaire de sa délégation en profitant de l’effervescence de cette année particulière à Londres.

L’ancien délégué nous illustre les activités organisées par la délégation grâce à quelques exemples frappants. « On a organisé un forum en partenariat avec des régions comme la Flandre, la Catalogne et différents États d’Australie, qui ont des représentations à Londres ». Le but était de comparer les politiques et les positions de chacun vis-à-vis du protocole de Kyoto et de l’émission de CO2 pour trouver de nouvelles pistes de réflexion et « montrer le travail qui existe entre les régions partenaires ».

Les Jeux Olympiques ont permis un ensemble d’initiatives à caractère financier et économique. Pour le Québec, il s’agissait de faire la promotion du plan Nord et montrer la capacité d’investissement dans ce projet. Pour se faire la délégation à fait venir un représentant d’une compagnie minière, des financiers et le président d’Investissement Québec. L’ancien délégué est assez fier d’avoir également fait venir le Chef de la Nation des Crie, Matthew Coon Come. Habitant dans le territoire de la Baie James, cette Nation vit les avantages et les inconvénients du Plan Nord. Bien d’autres événements sont venus ponctuer l’année 2012. L’ancien délégué regrette qu’il n’y ait eu que peu de couverture médiatique. «Nous, on était très fiers de ce que l’on a réalisé, avec peu de moyens en plus ». De  nombreux partenaires, dont des sociétés québécoises installées au Royaume-Uni, ont apporté un soutien financier pour que le Québec occupe le devant de la scène. En effet, pour les entreprises québécoises présentes à Londres, l’image que renvoie la province est importante pour les affaires. Car oui, évidemment, le Québec fait beaucoup d’affaires à Londres.

La crise financière londonienne au service des entreprises québécoises?

Évidemment, le Québec entretient des relations économiques importantes avec le Royaume-Uni, Londres et la City étant l’un des poumons de la finance et de l’économie mondiale. Mais la crise de 2008 n’a malheureusement pas épargné la capitale anglaise, bien au contraire. Un phénomène qui a d’ailleurs marqué M. Boulanger durant son mandat. Nouvellement en poste, il a pu observer des variations du taux de change de la livre sterling. Ainsi, les produits québécois devenaient de plus en plus chers à vendre au Royaume-Uni. Le dollar canadien étant très fort et la valeur des entreprises britanniques étant moindre, plusieurs entreprises québécoises en ont profité pour s’installer à Londres en achetant des entreprises britanniques. La crise a donc paradoxalement permis au Québec d’accroître sa présence économique au Royaume-Uni. L’ancien délégué note que « la façon de faire des affaires au Royaume-Uni est assez identique à la nôtre, on a été très influencés par les Britanniques ».

La délégation joue également un autre rôle; elle pousse les entreprises québécoises à présenter leurs produits et leur savoir-faire dans des salons spécialisés dans certains secteurs jugés intéressants par le Royaume-Uni.

Les Québécois, si différents des Anglais?

Le Canada est évidemment très présent au Royaume-Uni. Le Haut-commissariat du Canada est composé de plus de 300 personnes. Les autorités fédérales ainsi que celles des autres provinces font continuellement des visites sur le sol britannique. Comme nous l’explique M. Boulanger, le Québec est, de son point de vue, toujours perçu comme un oiseau rare, méconnu, dont on se méfie un peu, compte tenu de ses revendications indépendantistes passées. D’après lui, il se peut que cette préoccupation soit toujours inconsciemment présente dans les esprits, si tant est que cela pourrait éventuellement rafraîchir un peu les ardeurs des Britanniques à l’égard des Québécois.

Si les provinces anglophones sont tournées vers l’Angleterre, le Québec, lui, est plus naturellement tourné vers la France, ce que regrette un peu l’ancien délégué. « Vous savez, les relations ministérielles entre le Québec et le Royaume-Uni sont finalement assez modestes. C’est pour cela que je suis très content que, durant mes cinq années de poste à Londres, on ait réussi à accroître la venue de ministres québécois à Londres. Pour ainsi dire, ils sont presque tous venus. Après tout, on passe bien au-dessus de Londres pour aller à Paris… ». Question de racines communes, les Québécois se sentent sûrement plus à l’aise en France, sans parler des fortes relations qui se sont nouées entre la France et le Québec depuis un demi-siècle. Pourtant, pour l’ancien délégué, les Québécois sont très britanniques dans leurs façons d’être, l’organisation de la société, les institutions, le parlement, la justice, les organisations professionnelles de travail. « Mais ça, les Québécois ne le savent pas ou l’ignorent. C’est une réalité différente mais c’est finalement assez facile de se sentir comme à la maison au Royaume-Uni ».

Si les relatives proximités culturelles entre les Québécois et les Anglais facilitent l’intégration du délégué dans ses nouvelles tâches, il doit néanmoins s’habituer à une diversité importante dans les tâches qu’il a à accomplir. Ce que retient Monsieur Boulanger, c’est la diversité du travail, des défis auxquels doit faire face le délégué chaque jour. « En effet, une journée on traite de la culture, le lendemain c’est l’environnement ou l’économie. Il faut convaincre des entreprises anglaises de venir au Québec, mettre sur pied une mission agro-alimentaire avec des personnes qui veulent vendre du sirop d’érable… ». Nul doute que l’équipe présente sur place assure une pérennité et permet au nouveau délégué de prendre rapidement ses marques dans ses nouvelles fonctions. Une délégation, c’est une machine qui tourne, qui ronronne. Le délégué, lui, amène un leadership pour orienter le réseau construit par la délégation, au service des intérêts du Québec.

Avec la collaboration de Michèle Laugel et Joanie Gosselin