Un café avec Michel Robitaille, délégué général du Québec à Paris

Publié le 10 octobre 2013

Michel Robitaille est un administrateur d’État qui compte 40 années d’expérience dans le domaine international. Il est présentement le délégué général du Québec à Paris.

Les missions de la Délégation générale du Québec à Paris

Tout d’abord, la Délégation générale du Québec à Paris fait partie du réseau de 28 représentations du Québec à travers le monde, toutes gérées par le Ministère des Relations internationales de la Francophonie et du Commerce extérieur. Ce réseau est composé de représentations de différentes tailles en fonction des territoires couverts et des mandats qui leur sont confiés. Sur ces 28 représentations, 7 sont des Délégations générales, qui sont plus importantes en terme d’effectifs et qui traitent de tous les domaines de compétences du Québec. La Délégation générale de Paris est très particulière puisqu’on entretient une relation directe et privilégiée avec la France. C’est d’ailleurs la seule représentation qui a un statut diplomatique et, de ce fait, son rôle politique est très important. D’ailleurs, tous les deux ans se tient une rencontre alternée des premiers ministres québécois et français. La dernière a eu lieu au Québec en mars dernier. À cette occasion, le premier ministre français, Jean-Marc Ayrault s’est rendu au Québec pour y rencontrer son homologue, Pauline Marois. Lors de ces rencontres alternées sont définis les axes prioritaires de la relation franco-québécoise sur un horizon de deux ans.

La relation franco-québécoise s’articule d’abord autour d’un très important volet de coopération en matière d’éducation, de culture et de recherche scientifique. La relation économique est, elle aussi, centrale et en pleine progression depuis une dizaine d’années. La jeunesse, grâce à l’Office franco-québécois pour la jeunesse, est omniprésente et ce sont quelque 150 000 jeunes qui, depuis la création de l’OFQJ en 1968, ont participé à ses programmes et à ses stages. La relation entre la France et le Québec est donc, à tout égard, une relation d’exception, et la Délégation générale du Québec à Paris peut, sans contredit, être considérée comme le « vaisseau amiral » du Québec à l’étranger.

La fonction de délégué général

La fonction de délégué général exige une très grande disponibilité ainsi que des aptitudes à créer des liens. En effet, en diplomatie, ce qui compte avant tout, c’est le réseau de contacts qu’on peut développer et entretenir dans le pays dans lequel on est en poste. Ce sont des contacts qui sont de tout ordre : culturels, politiques, scientifiques. On se doit d’être très ouvert et disponible.

Dépendamment des pays où l’on est affecté, ce sont également des aptitudes linguistiques qu’il faut posséder. Il faut aussi posséder une très bonne capacité d’analyse, car notre rôle est également de transmettre des analyses aux autorités pour qu’elles soient au fait de ce qu’il se passe dans les pays où nous sommes. Cette mission a beaucoup évolué dans sa forme : quand j’ai commencé dans les années 70, nous n’avions pas internet et toutes ces chaînes d’informations continues. Aujourd’hui notre expertise et nos analyses doivent être pointues et se faire par des contacts privilégiés, de façon à apporter une valeur ajoutée à ce qui est publié dans les journaux ou rapporté sur les chaînes d’informations. Il faut également être au fait de l’actualité québécoise, malgré la distance, pour pouvoir bien l’expliquer à nos interlocuteurs étrangers, et réagir rapidement lorsque des informations véhiculées par les médias ou dans le cadre de conférences ne reflètent pas la réalité québécoise.

Il faut enfin avoir la confiance totale des autorités politiques qui gouvernent le Québec puisque le délégué général est le représentant du premier ministre ou de la première ministre au pouvoir.

La nomination

Dans mon cas, je suis un diplomate de carrière au gouvernement du Québec. J’ai toujours travaillé dans le domaine des relations internationales. J’ai commencé dans les années 1970 en Louisiane. Mon poste à Paris est mon 6e, et ma deuxième affectation à titre de délégué général. Un poste de Délégué général n’est pas un poste qu’on sollicite. Lorsqu’un qu’un tel poste devient vacant, le chef du gouvernement recherche des personnes qui, en fonction des besoins du moment, vont avoir le profil le plus apte à répondre à ces besoins. En 2010, au moment de ma nomination, je correspondais au profil recherché selon les défis et les besoins alors identifiés à Paris. Un an plus tard, cela aurait pu être très différent. Même si c’est toujours un honneur de se voir proposer un tel poste, il faut aussi que, du côté de la personne pressentie, la conjoncture soit favorable, notamment les conditions familiales dont il faut tenir compte. C’est ainsi que souvent des personnes pressenties ne pourront finalement pas donner suite. Dans mon cas, lorsque l’on m’a approché pour le poste de délégué général à Paris, je terminais mon affectation au Centre de la francophonie des Amériques et la conjoncture familiale était favorable. J’étais donc disponible.

Cela fait partie d’une continuité. J’ai œuvré toute ma vie dans le domaine des relations internationales et mon employeur a toujours été le MRICFE, sous différentes appellations au fil des ans. J’ai « grandi » dans ce ministère, j’y ai gravi les échelons. C’est une progression naturelle qui s’est faite au fil des ans.

Les objectifs

Les objectifs se résument toujours à répondre de la façon la plus adéquate possible aux attentes qui nous sont signifiées par le gouvernement. Quand j’ai été nommé à la tête de la Délégation générale du Québec à Paris en 2010, il y avait des objectifs à court terme très concrets comme l’organisation de la Rencontre alternée des premiers ministres et le Sommet de la Francophonie de Montreux. On m’avait aussi demandé d’augmenter la visibilité du Québec sur l’ensemble du territoire français. Il y avait également quelques points au niveau de la gestion de la Délégation générale et où il fallait porter une attention particulière. L’année suivante, en 2011, c’était le 50e anniversaire de la Délégation générale du Québec à Paris. Il m’avait été demandé de proposer et d’organiser des activités pour cette célébration qui s’est étalée sur douze mois. Nous avons réussi à illustrer de façon très concrète tous les volets de la relation franco-québécoise et cela faisait partie des objectifs que le gouvernement m’avait fixés.

De manière générale, nous sommes là pour promouvoir et défendre les intérêts du Québec et contribuer à la prospérité du Québec.

Après trois ans, je suis fier du travail accompli mais il y a encore beaucoup à faire. Je suis optimiste car je peux compter sur une équipe qui fait preuve d’un grand professionnalisme et d’un dévouement exemplaire.

Les affaires politiques

Dans le cadre des relations que le Québec entretient avec différents pays, il est vital de maintenir des liens assidus avec les autorités politiques. C’est encore plus vrai en France compte tenu des liens privilégiés avec les autorités françaises. Cela se concrétise par des contacts réguliers avec les différents cabinets ministériels ainsi qu’avec les dirigeants des différents partis politiques. Chaque année, un nombre important de visites ministérielles sont effectuées de part et d’autre. Au cours des douze derniers mois, nous avons organisé près d’une quinzaine de missions ministérielles québécoises en France et nous avons accueilli une dizaine de ministres français au Québec. Ces visites viennent renforcer la coopération et permettent d’accélérer l’avancement des dossiers stratégiques. Par exemple, le ministre de la Culture et des Communications, Maka Kotto, était récemment en mission en France dans le cadre du Festival du film francophone d’Angoulême où il a signé, avec la ministre française responsable de la Francophonie, Yamina Benguigui, une entente qui permettra d’accroître nos relations avec l’Institut français grâce à un partenariat avec la SODEC et le CALQ. Autre exemple : le ministre Jean-François Lisée qui préside l’Office franco-québécois pour la jeunesse a convenu, avec son homologue française, la ministre en charge de la jeunesse, Valérie Fourneyron, d’élargir les programmes offerts aux jeunes québécois et français grâce à des actions communes en pays tiers.

Du côté législatif, il existe aussi deux groupes d’amitié franco-québécois, un au Sénat et un à l’Assemblée nationale. Ce sont les groupes d’amitié parmi les plus importants des deux Chambres. Cela nous permet d’entretenir des relations avec les élus de tous les partis et de traiter, avec eux, d’enjeux communs. Grâce à ces liens, deux ministres québécois furent d’ailleurs récemment auditionnés (une première dans la relation franco-québécoise) dans le cadre de commissions de l’Assemblée nationale. À noter, également, que le Comité d’Action politique franco-québécois, qui réunit des jeunes qui sont actifs dans les ailes « jeunesse » de tous les partis politiques, permet la réalisation de stages dans des cabinets ministériels en France et au Québec.

Nous sommes également actifs au niveau régional par le biais de la coopération décentralisée et des ententes signées entre la Délégation générale et six régions de France. Des liens se tissent ainsi avec les élus régionaux, des présidents de conseils régionaux, de conseils généraux, ainsi qu’avec des autorités municipales. Le développement de liens politiques régionaux peut également se faire via les associations France-Québec ou dans le cadre d’activités de jumelage entre villes françaises et québécoises (Montpellier-Sherbrooke ; Drummondville-La Roche-sur-Yon ; Lyon-Montréal ; Bordeaux-Québec).

Les relations avec les entités décentralisées

Au fil des ans, nous avons signé des ententes assorties de plans d’action précis qui sont renouvelées tous les trois ans. Des ententes existent avec les régions qui représentent le plus fort potentiel de coopération avec le Québec et avec lesquelles nous avons des intérêts communs, particulièrement en matière de recherche et de développement économique. L’entente avec la région Rhône-Alpes, par exemple, est la première qui a été conclue au début des années 90. Ont suivi des accords avec les régions Aquitaine, Alsace, Île de France, Poitou-Charentes et Midi-Pyrénées. Évidemment, cela ne signifie pas que nous ne travaillons pas avec les autres régions.

L’influence de l’Union européenne

Toutes les représentations du Québec en Europe travaillent de concert pour faire la promotion du projet d’accord commercial entre l’Union européenne et le Canada. Il faut rappeler que c’est entres autres à l’initiative du Québec que ce projet a été lancé en 2009. Nous travaillons évidemment étroitement avec la France dans le cadre de ce dossier. D’ailleurs, c’était à l’époque où Nicolas Sarkozy était président de la République et qu’il assurait la présidence de l’Union européenne que le sujet avait été abordé pour la première fois avec l’ex premier ministre du Québec, Jean Charest. Le gouvernement dirigé par Madame Marois est très impliqué dans les négociations et compte beaucoup sur la France, notre principal allié, pour que l’exception culturelle soit reconnue dans le cadre de l’accord. Cela nous amène inévitablement, au-delà de la relation bilatérale, à penser beaucoup plus «Europe». Nous entretenons des contacts avec des députés européens de tous les pays membres de l’Union européenne pour leur parler du Québec et d’enjeux qui nous concernent, car certaines décisions de l’Union européenne peuvent avoir d’importantes répercussions chez nous. Ce travail se fait en relation avec la Délégation générale du Québec à Bruxelles car c’est elle qui a le mandat spécifique des relations avec l’Union européenne.

L’exception culturelle

Notre Délégation générale, et particulièrement les ministres qui viennent en mission en France, joue un rôle important en faveur de l’exception culturelle puisque, à chaque visite, la question est abordée avec leurs interlocuteurs. Lors de la visite officielle en France de la première ministre Pauline Marois, en octobre 2012, l’exception culturelle a été un des sujets de discussion avec le président François Hollande et le premier ministre Jean-Marc Ayrault. Lorsque le ministre des Relations internationales, de la Francophonie et du Commerce extérieur, Jean-François Lisée, est récemment venu en France, il a également discuté du sujet avec ses homologues et, notamment, avec le ministre de l’Économie et des Finances, Pierre Moscovici. Le ministre de la Culture et des Communications, Maka Kotto, en a également discuté avec son homologue française, Aurélie Filippetti, pour s’assurer de notre unité de pensée sur le sujet. Le Québec et la France sont un bon exemple de ce que la collaboration bilatérale peut avoir comme effet dans des dossiers multilatéraux : nous sommes les deux grands défenseurs de la préservation de cette exception culturelle dans les grands accords internationaux et plus spécifiquement, dans le cadre de l’accord commercial entre le Canada et l’Union européenne. Le contexte de la mondialisation rend cette affirmation encore plus pertinente relativement à des enjeux qui dépassent la relation bilatérale franco-québécoise.

La relation avec l’ambassade du Canada

Notre relation avec l’ambassade du Canada à Paris est très bonne. Cela dit, comme la Délégation générale du Québec à Paris jouit d’un statut diplomatique et d’une relation directe avec le gouvernement français, nous ne sommes pas tenus de nous concerter avec l’ambassade ou d’avoir une présence canadienne lors de rencontres avec les dirigeants français. Par contre, sur le dossier de l’Accord commercial entre l’Union européenne et le Canada, nous travaillons en étroite collaboration avec les autorités canadiennes. J’entretiens des relations suivies avec l’ambassadeur M. Lawrence Cannon et nous avons parfois, lorsque des dossiers s’y prêtent, des actions communes. Cependant, la particularité de la relation franco-québécoise fait en sorte que les liens avec le Canada sont moins fréquents que dans d’autres pays où le Québec a des représentations. Les conseillers de la Délégation générale voient leurs homologues de façon régulière, nous échangeons et nous sommes souvent sur les mêmes tribunes. C’est une relation cordiale dans le respect de la particularité de la relation franco-québécoise.

Les avantages de la France pour les Québécois

Étant donné la maturité de la relation franco-québécoise et notre relation privilégiée, la France peut être un tremplin extraordinaire pour les entreprises québécoises. Plus de 140 entreprises québécoises sont d’ailleurs établies en France et génèrent plus de 10 000 emplois. Les entreprises québécoises sont donc très présentes sur le territoire et souvent, en partenariat avec des entreprises françaises. La situation est identique pour les entreprises françaises au Québec. Il y a environ 300 filiales françaises au Québec qui génèrent 25 000 emplois directs.

Pour les entreprises québécoises qui désirent pénétrer le marché européen, en France il n’y a pas de barrières linguistiques. La France est un marché propice pour la création d’alliances qui peuvent ensuite permettre d’aller vers d’autres pays européens. On parlait tout à l’heure de la coopération décentralisée. Dans ce cadre, les universités québécoises travaillent en étroite collaboration avec des universités françaises et des centres de recherche qui eux, sont associés à des entreprises. Tout cela vient favoriser la création de partenariats, voire d’implantations, et le développement de nouveaux marchés. Enfin, le nouvel Accord de Reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles entre la France et le Québec facilite la mobilité de la main-d’œuvre. C’est très avantageux, car une entreprise qui s’implante en France va certes engager de la main-d’oeuvre locale, mais peut également avoir besoin de cadres ou de spécialistes, qui viennent de la maison-mère. C’est la même chose à l’inverse pour les Français qui s’implantent au Québec. Avec la signature de l’entente, cette mobilité professionnelle est maintenant possible.

Les actions de la délégation dans le cadre économique

Les actions de la délégation sont menées par notre service économique qui aide les entreprises québécoises qui veulent prospecter le marché français. L’expertise de notre service économique permet de fournir aux entreprises québécoises des analyses de marché ainsi qu’un accompagnement dans le cadre de foires commerciales spécialisées. Nous identifions, par exemple, les principaux salons et les principales manifestations qui peuvent permettre à des entreprises québécoises de présenter leurs produits ou leurs offres de services. Nous intervenons aussi parfois pour identifier des partenaires potentiels pour la distribution, la mise en marché, des alliances stratégiques, etc. Pour cela, il faut être sur place et bien connaître le marché. C’est le rôle de nos attachés économiques qui travaillent par secteurs (agroalimentaire, aérospatiale, TIC, mode, biotechnologies, etc.). Ces spécialistes mettent leur expertise au service des entreprises québécoises. Nous faisons gagner à ces entreprises beaucoup de temps. En ce sens, l’accompagnement que leur offre la Délégation générale leur est très précieux.

Un de nos objectifs est aussi de jumeler les « pôles de compétitivité français » avec nos « créneaux d’excellence » au Québec. Le but est de conjuguer expertises françaises et québécoises pour les rendre encore plus performantes.

Le mandat d’Investissement Québec

Trois démarcheurs d’Investissement Québec sont ici à la Délégation générale. Leur mandat est d’attirer des investisseurs au Québec. Depuis deux ans, nos démarcheurs ont obtenu les meilleures performances de tout le réseau du Québec à l’étranger. Sur le plan des investissements, pour la seule année 2012-2013, 8 nouvelles entreprises françaises se sont implantées au Québec et ont annoncé des investissements d’un total de près de 130 M$ au Québec.  À noter, entre autres, l’arrivée d’Aerolia SAS, un bureau d’étude en aéronautique (75,8 M$), de la société Alten, un bureau de conception et d’étude en TIC (200 emplois créés) et du Groupe Adetel spécialisé en microélectronique pour (100 emplois créés). Nos démarcheurs vont à la rencontre de grandes entreprises lorsque celles-ci projettent de s’implanter à l’étranger. C’est alors qu’ils font valoir les avantages du Québec : qualité de vie et de la main d’œuvre ; positionnement stratégique en Amérique du Nord ; programme d’aide aux investissements compétitifs, etc. Les investissements touchent tous les secteurs. Il y a eu, par exemple, le musée Grévin qui s’est installé à Montréal et cela, suite à des démarches qui ont été faites par investissement Québec ici à Paris. C’est très concret et ce sont des retombées qui sont facilement chiffrables en terme de montants investis et d’emplois créés.

Les stratégies de communication

On a bien évidemment un service de communication actif qui utilise des outils modernes avec site Internet, Twitter et page Facebook. Nous faisons également la promotion du Québec sur le territoire dans le cadre de semaines québécoises qui sont organisées un peu partout en France, souvent avec l’aide précieuse du réseau de France-Québec. Nous participons aussi à des salons spécialisés par exemple en juin dernier au salon international de l’aéronautique du Bourget. Ces événements nous permettent non seulement de favoriser la conclusion de contrats mais aussi de faire valoir l’expertise du Québec. Il y aussi nos différentes interventions à des tribunes publiques. De plus, les artistes québécois se produisent en très grand nombre en France et leur énorme succès engendre un climat des plus positifs à l’égard de tout ce qui vient du Québec. Si le Québec est si connu et si apprécié des Français, c’est en grande partie grâce à nos artistes qui sont d’excellents ambassadeurs. Les Français les admirent et cela permet au Québec rayonner de façon très positive.